Les finalités assignées à l'école se traduisent dans les faits par des actions éducatives de l'enseignant visant autant le développement d'attitudes individuelles ou sociales et l'acquisition de méthodes de réflexion et d'action, que l'apprentissage de savoirs.
Par ailleurs, des observations de la réalité du travail de classe ont mis en évidence que, suivant ses préoccupations, l'enseignant met en place des stratégies qui visent à instaurer des habitudes, un climat de classe, autant qu'à faire acquérir des connaissances nouvelles (M. Durand, 1996).
Ces constats conduisent à situer l'utilité de ce document d'aide au travail de l'enseignant: c'est un outil centré sur le seul aspect de l'enseignement qui consiste à mettre en œuvre des moyens efficaces pour aider les élèves à acquérir des capacités nouvelles en éducation physique.
Les tâches que doit accomplir l'enseignant dans ce sens relèvent de la conception des situations d'enseignement, de la conduite du déroulement des séances, puis de l'évaluation des effets produits.
Pour mieux appréhender la complexité et l'interdépendance des compétences sollicitées, il semble intéressant de démultiplier en tâches intermédiaires ces trois grandes catégories énoncées. C'est ce que représente l'analyse faite dans le tableau suivant
CONCEPTION |
Planifier |
S'intégrer à une équipe Élaborer un projet pédagogique - analyser les ressources et les contraintes - diagnostiquer : analyse des besoins - choisir des moyens et des stratégies |
Préparer une séance |
Choisir des objectifs opérationnels différenciés Choisir des contenus de formation Prévoir des stratégies d'intervention Adopter une méthode concise et opératoire |
|
Organiser |
Gérer l'espace Gérer le temps Gérer les formes de groupement Gérer le matériel |
|
REALISATION |
Aider à apprendre |
Présenter les informations relatives aux tâches Réguler, différencier Guider les apprentissages (informations en retour) Maîtriser son comportement pédagogique |
Gérer les relations |
Maîtriser ses attitudes (voix, langage, postures) Créer un climat, réguler les échanges Connaître les élèves, être disponible |
|
Prévoir |
Construire des outils d'analyse (référentiels) |
|
EVALUATION |
Observer |
Créer et entretenir les motivations Permettre une grande quantité d'activité Évaluer les résultats et les procédures (progrès) |
Décider |
Dégager des éléments pour agir par la suite |
Si l'enseignant oriente essentiellement son travail vers les apprentissages des élèves, la préparation des interventions en classe s'appuie sur une démarche qui le conduit à réaliser des choix aux différentes étapes du travail de traitement didactique, en vue de construire des situations et de prévoir leur mise en œuvre.
Ce travail d'anticipation comporte en fait deux phases consécutives
· la planification, qui consiste à répartir les objectifs d'apprentissage et les activités que le maître a choisis : il s'agit d'organiser la mise en œuvre des unités d'apprentissage dans le temps scolaire,
· la préparation didactique proprement dite de chaque séance, qui concerne le choix des contenus d'enseignement, mais aussi envisage l'organisation à mettre en place, les interventions de guidage et de régulation, ainsi que les procédures d'évaluation des effets obtenus.
S'il ne recouvre pas toutes les tâches que doit accomplir l'enseignant, ce travail de didactisation anticipe sur elles. Dès cette étape seront nécessairement mobilisées des connaissances relatives aux finalités de l'éducation physique, à la spécificité des activités, aux processus d'apprentissage de l'enfant, et aux techniques pédagogiques.
La valorisation du choix de tel ou tel contenu d'enseignement s'explique par les options idéologiques et théoriques de l'institution ou d'un enseignant à un moment donné (M. Develay, 1992). Selon les conceptions retenues, on peut penser que des choix différents pourraient être faits pour élaborer les objectifs, les situations d'enseignement, et la mise en œuvre des séances.
Dans le contexte de l'école, ce sont les interrogations philosophiques sur les finalités, le type d'homme à former, les valeurs à transmettre, en liaison avec les acquis scientifiques, qui déterminent l'intervention éducative. Effectivement, les idéologies, les mentalités, les techniques, les conditions de vie sont en constante transformation et, si l'on retrace rapidement l'évolution historique de l'enseignement de l'éducation physique, on s'aperçoit que contenus et méthodes correspondent aux besoins politiques et aux demandes sociales des périodes successives. Ainsi, après avoir été sous l'emprise des militaires pour former des soldats patriotes, puis celle des médecins pour prendre en compte les besoins de santé des citoyens, l'éducation physique a pour objet de préparer l'individu aux activités de sa vie sociale future. C'est désormais l'école qui la prend en charge à ce titre.
Depuis 1985, devant l'essor des pratiques volontaires et des activités nouvelles, et en se référant aux apports des sciences humaines et biologiques, l'éducation physique tend à évoluer vers des visées d'adaptation sociale. On recherche une pédagogie des conduites motrices prenant en compte la totalité de l'être qui agit, et visant son développement. Les contenus sont issus des pratiques sportives ou de loisirs. Cela se traduit par une éducation physique qui dépasse l'appréciation du seul comportement moteur visible, pour "contribuer à l'apprentissage de la santé, de la sécurité, de la responsabilité et de la solidarité" (A. Hébrard, 1986).
Ce que l'on recherche désormais, c'est que l'élève puisse apprendre à connaître et à mobiliser ses ressources afin de progresser dans la pratique des activités physiques et sportives, tout en développant des compétences de méthode et d'attitudes, transversales à différentes matières d'enseignement.
Le problème auquel est confronté un enseignant est bien de traduire en contenus pour ses élèves les finalités assignées à la discipline qu'il doit mettre en couvre.
C'est là un travail qui se situe dans le champ théorique de la didactique de l'éducation physique. Cette didactique est centrée sur l'acquisition de savoirs qui lui sont propres, elle relève de l'analyse des relations entre l'action du maître et l'activité déployée par l'élève pour que celui-ci s'approprie l'apprentissage visé (M. Altet, 1994).
La didactique représente alors "l'étude des procédures d'enseignement et la recherche des plus efficaces" (G. Avanzini, 1986), pour passer des pratiques physiques de référence aux contenus et aux procédures d'enseignement, puis aux apprentissages effectifs des élèves. Il s'agit de réaliser le traitement de la matière enseignée en vue de la rendre assimilable par des élèves donnés.
Cela revient à transformer un savoir de référence, en modifiant sa nature, pour en faire un savoir que l'on peut enseigner. Ce travail trouve sa place entre l'analyse du savoir savant ‑ ou des pratiques sociales de référence ‑ et la prescription du savoir à enseigner (Y. Chevallard, 1985).
Ce qui est à enseigner en éducation physique n'émane pas de savoirs savants, mais s'appuie sur les pratiques sociales de référence que sont les activités physiques et sportives.
L'objet d'enseignement de l'éducation physique devra donc être "traité" pour satisfaire aux exigences de l'école. Celles-ci imposent au maître de mettre en place des conditions pour favoriser le développement de chaque individu. C'est en passant par des pratiques de référence, intermédiaires entre finalités et contenus, que l'enseignant pourra réaliser un traitement des activités‑supports de l'éducation physique.
Il faudra, pour cela, mener une réflexion qui conduira à décontextualiser le savoir, à l'isoler des conditions dans lesquelles il a été produit, puis à recontextualiser ce savoir épuré d'origine dans les conditions scolaires (JR Astolfi, M. Develay, 1989). Les éléments à apprendre sont alors organisés en contenus de difficulté croissante, et les étapes des acquisitions progressives peuvent être explicitement annoncées.
"La transposition didactique correspond en dernier ressort à un travail de réorganisation, de présentation, de genèse de connaissances pré‑existantes en vue de leur enseignement" (M. Develay, 1992).
Pour passer des principes à l'opérationnalisation, la question qui nous préoccupe dès lors est de déterminer quelles sont les tâches, les opérations successives que les enseignants doivent effectuer pour appliquer les programmes institutionnels, avant d'intervenir auprès des élèves ?
La démarche adoptée pour entreprendre concrètement l'étude d'une activité, afin d'arriver à la construction de situations d'enseignement, se déroule en plusieurs phases successives (P. Goirand, 1986).
• d'en déterminer l'essence, c'est‑à‑dire les caractéristiques constantes à travers ses différentes formes de pratique, ce qui est permanent dans la nature de cette activité et lui
confère son sens,
• de connaître les enjeux de sa programmation dans l'enseignement, savoir quelle est sa valeur éducative, en quoi elle est utile pour la formation de l'enfant,
• de repérer les problèmes fondamentaux que pose la pratique : déterminer quelles sont les contraintes, les contradictions qui remettent en cause le fonctionnement habituel de l'individu, et quelles ressources il devra mobiliser. Ils représentent ce que l'on souhaite que l'élève apprenne.
Il s'agit de déterminer quels sont les éléments qui composent la globalité d'une activité en vue de la découper en thèmes d'étude. Ce sont les actions élémentaires, liées aux intentions de l'élève, et sous‑tendues par la connaissance de principes, qui représentent l'ensemble des thèmes d'étude spécifiques à une activité.
Ce sont des situations aménagées mais authentiques, qui respectent le sens et le problème fondamental de l'activité. Elles serviront à la fois à mobiliser l'intérêt des élèves et à évaluer leurs apprentissages (A. Gimenez, A. Quilis, 1990).
Les connaissances nécessaires
Le travail préconisé se réalisera en ayant recours à des choix parmi un ensemble de connaissances théoriques dans les trois domaines qui sont en jeu
· l'éducation physique,
· le fonctionnement de l'enfant en situation d'apprentissage,
· les techniques pédagogiques.
Il ne peut pas être question de développer tous ces aspects dans le cadre du présent document. Les connaissances essentielles relatives à l'éducation physique seront évoquées lors de l'étude des objectifs et des activités pour construire des programmes et des contenus d'enseignement.
La connaissance de l'enfant aura pour conséquence la mise en œuvre de comportements pédagogiques cohérents. On se limitera ici à aborder quelques pistes de réflexion de façon très superficielle. Elles représentent des cadres de référence à partir desquels a été élaboré le travail concret de la deuxième partie.
MODELES THÉORIQUES DE RÉFÉRENCE |
CE QUE FAIT L'ÉLEVE |
CE QUE FAIT LE MATTRE |
Théories associationnistes - Behaviorisme (Skinner 68) |
Répond à un stimulus Restitue une réponse |
Instruit, transmet, conditionne |
- Pédagogie/objectifs (Mager 69) |
Progresse par étapes |
Conçoit des exercices progressifs |
- Gestalt (Guillaume 37) |
Copie un modèle et automatise |
Explique, démontre, entraîne |
Théories constructivistes (Piaget 66) * Modèles interactionnistes - Théories génétiques (Wallon 45) |
Intègre des concepts pour évoluer |
Propose des situations globales |
- Intériorisation de l'action (Vygotsky 34) |
Attentif pour comprendre l'action |
Conçoit des situations aménagées |
- Interactions sociales (Bandura 80) |
Observe, imite |
Met en place un milieu stimulant |
- Apprentissages naturels (Famose 87) |
Découvre, agit globalement |
Incite à s'engager dans des tâches |
* Modèles auto-adaptatifs - Traitement de l'information (Gagné 76) |
Perçoit, décide, agit, régule |
Construit des tâches progressives |
- Neuro-sciences (Changeux 83) |
Interagit avec le milieu |
Analyse l'activité globale |
- Prise de conscience (Nunziati 90) |
Expérimente, s'auto-corrige |
Personnalise, facilite l'évaluation |
* Modèles didactiques - Franchissement d'obstacles (Meirieu 85) |
Est confronté à un conflit |
Conçoit des situations-problèmes |
- A partir des représentations (Giordan 89) |
Transforme ses représentations |
S'appuie sur les conceptions |
Aucun des modèles présentés ne pourrait être pleinement satisfaisant pour assurer l'ensemble des apprentissages s'il était exclusif. Les processus sollicités chez les élèves diffèrent suivant l'activité proposée, la motivation, le niveau d'expertise, et le degré de maturation.
En considérant que l'apprentissage doit conduire à la production d'actions efficaces, de façon stable et permanente, et qu'il est le résultat d'une pratique active, les options sous‑jacentes retenues pour construire les situations d'enseignement proposées dans ce document peuvent être résumées selon trois principes
· le recours aux processus cognitifs, conscients ou inconscients, semble indispensable pour que l'élève construise ses savoirs,
· le développement se fait continuellement par emboîtement sous l'effet de contraintes qui exigent un ajustement de l'activité,
· le développement se fait par adaptation aux contraintes des situations, pas par la reproduction de solutions formelles.
Cela se traduit par des situations allant de la découverte globale, où l'enfant est exclusivement centré sur les résultats de son action, à des situations de consolidation des connaissances, où il est invité à mettre en relation ses résultats avec les manières d'agir, puis à des situations de réinvestissement, dans lesquelles il décidera de son projet d'action.
L'utilité du travail scolaire ne sera perçue que si les compétences apprises peuvent être réinvesties en dehors du champ de l'école. Les situations d'enseignement doivent donc être rattachées à des projets utiles, ce qui reviendra à intéresser l'élève (P. Meirieu, 1992).
Sans pouvoir catégoriquement assurer que l'enseignant maîtrise avec certitude le sens que l'élève donne à ses apprentissages, certains principes semblent mériter une prise en compte
· lier les apprentissages à des pratiques sociales de référence peut être un moyen pour donner du sens aux situations, même chez les enfants jeunes,
· finaliser les apprentissages, en définissant clairement le but de l'action et les critères de réussite correspondants,
· proposer des situations ouvertes, qui constituent une clé pour "entraîner la motivation en même temps que l'apprentissage le plus efficace, parce que le plus signifiant" (S. Johsua, 1992). Ce sont des situations auxquelles les élèves peuvent fournir une réponse adaptée à leur niveau. Elles valorisent la réussite possible pour tous, en ne considérant pas les erreurs comme des manques à combler, mais comme une source de transformation.
Pour que les élèves construisent activement leurs apprentissages, on s'efforcera de les placer devant des problèmes dont ils rechercheront la solution.
Les situations‑problèmes sont des "situations que les élèves peuvent maîtriser et dans lesquelles les connaissances vont apparaître comme la solution optimale au problème posé" (G. Brousseau, 1985)
En définitive, pour construire de telles situations, il est nécessaire de répondre à ces questions, recensées par P. Meirieu (1988)
· quel est l'objectif d'apprentissage, qui constituera un obstacle à franchir ?
· quelles tâches contribueront à atteindre cet objectif ?
• comment les présenter (dispositif, but et critères de réussite, consignes sur les opérations à réaliser) pour qu'elles aient un sens, qu'elles soient accessibles, qu'elles permettent d'expérimenter différentes stratégies, et qu'elles soient l'occasion de nombreux essais ?
· • quelles variantes faut‑il prévoir pour réguler les contraintes en fonction des ressources et des itinéraires de chacun ?
La frontière est perméable entre didactique et pédagogie. Si le travail de didactisation se situe essentiellement en amont de l'intervention du maître auprès des élèves, il ne peut pas, pour autant, se limiter à la conception de contenus d'enseignement qui n'émaneraient que du traitement des activités choisies pour les rendre assimilables par des élèves fictifs. C'est aussi lors de la phase de conception de son travail que l'enseignant doit envisager les aménagements qu'il pourra apporter à la situation initiale et leur mode de mise en œuvre, de façon à guider les apprentissages des élèves.
La seule prescription de tâches à réaliser ne pourrait suffire. La présentation de la tâche sert à créer la base d'orientation de l'activité des élèves, elle ne détient pas une valeur magique qui engendrerait les progrès. Le maître a un rôle à jouer pendant et après le déroulement de l'action, et notamment celui de fournir des retours d'information rapides, formulés en cohérence avec les consignes de départ, et permettant de mettre en relation les effets obtenus et les mécanismes qui les ont provoqués.
Il s'agira alors de rechercher un équilibre entre différentes façons d'enseigner, en s'adaptant à l'évolution des comportements des élèves.
En effet, les procédures qui permettront à l'élève de stabiliser les savoirs construits, après avoir fourni des réponses adaptées en fonction d'indices qu'il aura perçus, peuvent difficilement être prescrites de façon dogmatique si l'on admet que
· tous les types de tâches ne s'enseignent pas de la même façon,
· selon le moment et la nature du guidage, des effets complémentaires seront obtenus,
· l'âge et le degré d'expertise des élèves déterminent des ajustements dans le choix et la formulation des consignes d'action.
Le maître devra donc toujours choisir avec discernement les variables pédagogiques qui auront la meilleure efficacité (P. Arnaud, 1986)
· pour choisir les types d'activités (situations‑problèmes, exercices de compréhension, jeux et formes jouées, etc.)
· au moment d'induire l'action des élèves (organisation du dispositif, explications verbales, aménagements du milieu, démonstration, etc.)
· afin de guider les apprentissages (appel à la prise de conscience, à l'intériorisation, connaissance des résultats, recours aux dessins, etc.)
En admettant que "L'évaluation scolaire a pour fonction première de contribuer à une bonne gestion des apprentissages" (C. Hadji, 1989), la dernière tâche à réaliser consiste à faire le bilan de ce que ses élèves ont appris quand l'action d'enseigner est achevée. On constatera alors qu'il peut y avoir d'importants décalages entre ce que le maître a voulu enseigner et ce que les élèves ont assimilé.
Il est important de se référer à des critères d'observation, liés à l'objectif défini pour chaque situation d'enseignement, afin d'évaluer le degré des progrès réalisés. Au‑delà, la capacité de transfert pourrait être un bon indicateur des apprentissages réalisés, puisque les acquisitions seraient alors réinvesties dans des situations autres que celles qui ont servi à les construire (M. Genthon, 1990).