Chapitre 2 - EPS et arts du cirque

Quels objectifs peut atteindre l'éducation physique et sportive à travers la pratique des arts du cirque?

Les arts du cirque font‑ils partie intégrante des APSA (activités physiques, sportives et artistiques) ?

Les arts du cirque ‑ seule APSA mixte ‑ peuvent‑ils être enseignés sans complexes par tous les enseignants?

La «pédagogie différenciée » et les arts du cirque: cette mise en relation est‑elle particulièrement pertinente ?

Que peut apporter la pratique des arts du cirque aux « itinéraires de découverte » en collège, aux « travaux personnels encadrés » de lycée et aux « ateliers artistiques » ?

Récemment sont parus de nouveaux textes relatifs aux programmes du collège et du lycée[1]. Les orientations que présentent ces arrêtés et circulaires s'adressent aussi bien à la spécificité des disciplines scolaires qu'aux relations qu'elles peuvent ‑ ou doivent ‑ entretenir entre elles. Dans ce cadre réglementaire, il nous a paru intéressant de considérer la place que peuvent occuper les arts du cirque en tant qu'activité physique, sportives et artistique (APSA) et/ou activité physique d'expressions (APEX)[2]. Nous analyserons le contenu des programmes d'EPS au collège et au lycée pour montrer comment la pratique des arts du cirque peut répondre à certains objectifs. Nous expliquerons aussi comment les arts du cirque apportent une réponse pertinente à d'autres objectifs, dans le cadre des nouvelles orientations pédagogiques du collège.

I.     EPS et arts du cirque au collège et au lycée

Dans les orientations générales pour le collège que présente l'arrêté de 1996, on peut lire que l'EPS doit mettre « l'élève en contact avec un grand nombre d'activités physiques, sportives et artistiques [dans la suite de notre propos, nous parlerons d'APSA] qui constituent un domaine de la culture contemporaine... Elles [ces activités] permettent à tous les élèves de s'éprouver physiquement et de mieux se connaître en vivant des expériences variées et originales, sources d'émotion et de plaisir»[3]. Le cirque traditionnel, et plus encore le « nouveau cirque », s'inscrivent parfaitement dans le cadre défini par les textes officiels.

Au lycée, « la finalité de l'EPS est de former, par la pratique des activités physiques, sportives et artistiques, un citoyen cultivé, lucide, autonome. Ce citoyen est responsable de la conduite de sa vie corporelle pendant la scolarité et tout au long de la vie, attentif aux relations sociales, pleinement acteur et critique dans l'évolution des pratiques culturelles » (BO hors série n° 6 du 31 août 2000). Comme nous le verrons dans les pages suivantes, enseigner les arts du cirque ce n'est pas simplement faire acquérir aux élèves des habiletés spécifiques, c'est avant tout les confronter, dans la pratique, aux valeurs de citoyenneté; d'autonomie et de responsabilité.

Il nous faut désormais situer les rapports qu'entretiennent les arts du cirque et les finalités de l'EPS, spécifier les objectifs communs et définir la nature des acquisitions qu'ils génèrent au collège et au lycée.

A.  Une APSA à part entière ou une APSA entièrement à part?

Considérés hors de l'école, les arts du cirque constituent une pratique artistique, c'est‑à‑dire une activité de mise en scène d'habiletés « destinées à produire chez l'homme un état particulier de sensibilité, plus ou moins lié au plaisir esthétique » (Grand Larousse), en dehors de toute finalité utilitariste à court terme. Cette dimension s'inscrit dans le cadre du deuxième objectif général de l'EPS concernant la catégorie de situations éducatives mettant en jeu « des relations de coopération, de confrontation et de communication avec autrui » (BO n° 29 du 18 juillet 1996).

Sous peine de dénaturer les arts du cirque, la pratique scolaire doit intégrer cette dimension affective, à partir d'une création de qualité, consistant à susciter une émotion tant chez l'artiste qu'auprès du public[4]. Il convient alors d'en tirer les enseignements relatifs aux savoirs et aux compétences à développer: le rapport à l'art doit être évident et donner un sens profond à la pratique. Dans cette optique, nous pensons qu'il est essentiel, comme nous y invitent les nouveaux programmes[5], de mettre en place une « pédagogie du projet » qui incite chaque élève à produire une création. Elle doit passer par les différentes étapes qui vont de la maîtrise gestuelle à la composition pour aboutir à l'interprétation.

Cependant, il conviendrait peut-être de redéfinir un ensemble de compétences propres aux APSA dans un cadre moins restreint que celui proposé par les nouveaux programmes du collège (BO n° 29 du 18 juillet 1996), trop axé sur les particularités de la danse. Une ouverture aux activités du théâtre, des arts du cirque et des pratiques artistiques de rue semble se dessiner bien plus nettement dans les programmes du lycée (BO hors série n° 6, 2000). Bien évidemment, chaque pratique garde son originalité et celle-ci apparaît dans le cadre « des compétences spécifiques nécessaires à la réalisation efficace de chacune des activités...; elles en révèlent la maîtrise de savoirs et de techniques intégrés dans l'action elle-même » (BO n° 29 du 18 juillet 1996).

B.  Un moyen de faire accéder tous les élèves à la pratique d'une APSA

Dans la plupart des établissements scolaires, les APSA sont représentées par des pratiques de danse: danse contemporaine, danse traditionnelle, danse jazz, voire rock acrobatique[6]. Cet état de fait génère, de notre point de vue, des effets pervers. Le principal étant de tenir à l'écart des APSA tant les élèves garçons ‑ peu enclins à accepter de pratiquer ces activités ‑ que les professeurs d'EPS masculins, qui partagent certaines de ces réticences (il conviendrait d'en analyser les raisons, mais cela semble sortir du cadre de notre travail)[7].

«Il s'agit aujourd'hui de construire effectivement un collège pour tous[8].. Les arts du cirque le permettent en favorisant l'investissement des genres. Considérés sous un aspect technique, ils conviendraient plus aux garçons; étudiés sous un angle esthétique ‑ pour ne pas dire chorégraphique ‑, ils sembleraient plus attirer les filles[9]. Cette perspective devrait permettre une meilleure entrée dans l'activité et, ce stade initial dépassé, de proposer à chacun tous les aspects de ces arts, qu'ils soient techniques ou esthétiques. L'extraordinaire variété des arts du cirque ‑ jonglage, équilibre, acrobatie, clown, magie ‑ permet de satisfaire tous les publics, d'envisager des séances d'EPS mixtes en évitant les regroupements de garçons autour d'un sport de combat, et ceux des filles autour des séances de danse. Les arts du cirque représentent enfin une activité nouvelle pour tous, ou peu s'en faut. Ils « constituent, pour l'adolescent, des points d'appui concrets favorisant la restructuration et l'identification de sa personnalité », ils permettent à l'enseignant de « veiller au maintien de leur engagement personnel [celui des l'élèves] –et du plaisir qu'ils en éprouvent ainsi qu'à l'affirmation de leurs compétences »[10].

C.  Différencier la pédagogie en arts du cirque

S'adresser à tous, c'est offrir à chacun la possibilité d'apprendre en empruntant des chemins différents. Cette nécessaire diversité nous oblige à envisager une multitude de pratiques susceptibles d'être utilisées en arts du cirque.

L'enseignant se doit de devenir un « jongleur » capable de manipuler les variables et les contraintes des situations pédagogiques. La formation des groupes de travail est, en EPS, un moyen privilégié de gérer l'hétérogénéité. Groupes de niveau ou par affinités, groupes de besoin ou groupes mixtes, non mixtes, hétérogènes, avec tuteur‑élève: la liste des possibilités de regroupement est longue. Il semble pourtant que la stratégie du regroupement par niveau conduise à une homogénéisation interne (les plus faibles deviennent plus faibles) et à une inégalité croissante (les niveaux extrêmes s'éloignent). Seuls les groupes hétérogènes conduisent à une réduction de cet écart par une croissance du niveau des plus faibles[11], aussi utiliserons‑nous ce type de regroupement en l'associant à une pratique par ateliers.

Dans ces ateliers, les tâches à réaliser varient en fonction de l'espace à utiliser, du volume de pratique à effectuer, du temps imparti, des consignes à respecter, etc. L'éventail des situations pédagogiques proposées au chapitre 4 permet de disposer des outils nécessaires à cette démarche.

II.   Quelles compétences développer en arts du cirque ?

«Les apprentissages en EPS mènent à l'acquisition de compétences »[12]. Celles‑ci sont de trois ordres: les compétences générales, les compétences propres au groupe d'activités APSA et les compétences spécifiques aux arts du cirque (BO n° 29 du 18 juillet 1996).

A.  Les compétences générales

Les compétences générales doivent permettre d'atteindre la troisième finalité de l'EPS : « l'accès aux connaissances relatives à l'organisation et à l'entretien de la vie physique » (BO n° 29 du 18 juillet 1996). Elles doivent également permettre d'atteindre des finalités importantes comme l'éducation à la citoyenneté et la gestion du risque.

Les compétences générales à développer en EPS ont été largement évoquées par de nombreux auteurs[13]. Nous présenterons ici celles qui nous semblent particulièrement appropriées aux arts du cirque. Elles sont au nombre de quatre et concernent

‑ l'éthique;

‑ la coopération et l'organisation; ‑ l'autonomie;

‑ l'éducation à la citoyenneté et la prise de risque.

1.               L'éthique

La mise en scène de son corps, associée à une représentation négative de ses capacités en techniques de cirque, peut conduire au refus de pratiquer sous le regard de l'autre. Cette forme de « violence symbolique » est une prise de risque où l'élève affronte l'examen visuel des autres sans y être préparé. Cette « mise à nu » s'apparente à une agression sans possibilité d'évitement et doit faire l'objet d'une éducation. Comment faire passer le respect de l'autre dans le comportement des élèves? On peut atteindre cet objectif par différentes formes de pratiques pédagogiques:

‑ travailler en cercle (la piste) dès l'échauffement et lors des apprentissages de base (tout le monde voit tout le monde);

‑ produire des prestations en petit groupe (atelier);

‑ mettre en place des zones spécialisées pour les prestations et la mise en scène; ‑ amener de manière progressive les prestations devant toute la classe;

‑ dénoncer certains comportements de spectateurs et en débattre avec toute la classe;

‑ introduire rapidement un projet de prestation avec des contraintes adaptées permettant d'offrir un important panel de solutions motrices;

‑ aménager des situations où l'on présente des numéros, en classe plénière, sous forme de volontariat, pour sensibiliser acteurs et spectateurs aux techniques de valorisation et d'évaluation;

‑ aménager des séances spécifiques sur l'aménagement matériel et son utilisation possible pour accompagner une habileté particulière (utilisation de chaises, plinths, structuration de l'espace avec ces éléments, etc.).

La coopération et l'organisation

La mise en place rapide (après trois à quatre séances) d'un projet de spectacle doit s'appuyer sur la nécessité de se regrouper pour s'entraider et doit introduire la notion de « faire‑valoir » (celui qui présente les engins, les ramasse, change la disposition des accessoires durant la prestation) pour répartir le matériel disponible et assurer la sécurité des élèves (parade et aide sur les engins d'équilibre).

2.               L'autonomie

La recherche d'une pratique axée sur la réalisation d'un mini‑spectacle entraîne des besoins variés et des attentes. Il faut donc que les élèves travaillent de façon autonome à la mise en ceuvre de leur réalisation: travail individuel pour ceux qui ont opté pour une prestation en solo, travail en duo, en trio ou en groupe pour les autres. Certains de ces travaux nécessitent la coordination de plusieurs compétences ou font appel à des valeurs personnelles comme l'esthétisme et la volonté. Autant de possibilités qui conduisent encore l'élève à prendre lui‑même en charge son apprentissage. L'utilisation de fiches d'auto‑évaluation pour identifier les raisons d'un échec ou d'une réussite, la réactualisation d'un projet initial après avoir pris conscience des difficultés (ou l'émergence de nouvelles possibilités) sont autant de procédures qui permettent à l'élève d'exercer un contrôle sur les résultats de son action et de s'autodéterminer dans ses choix d'apprentissage.

3.               L'éducation à la citoyenneté et à la prise de risque

Présenter un numéro en public engage les élèves vers des prises de décision, une gestion personnelle des risques et une responsabilisation de leurs actes. Cette prise de risque est double: l'élève peut, sous l'influence du public (trac, émotion mal gérée), rater sa prestation; il peut aussi surestimer ses capacités et tenter des figures mal assimilées et vouées à l'échec. La prise de conscience du rôle de spectateur critique et averti passe par le respect de l'artiste, le respect de l'avis des autres et une acceptation des règles de vie: elle participe donc à l'éducation à la citoyenneté.

B.  Les compétences propres au groupe d'activités APSA

Les compétences propres étant décrites dans le détail pour chaque cycle d'enseignement dans les programmes[14], nous n'en donnerons ici qu'un court extrait.

En sixième (cycle d'adaptation), la pratique d'une APSA doit être abordée sous la forme d'une initiation donnant lieu à une prestation. Les notions de création, de composition et d'interprétation font l'objet d'une première approche. Il convient donc d'introduire, dès ce niveau de pratique, une référence à la construction d'un numéro à interpréter devant un public, tout en aménageant le contexte de cette prestation.

En cinquième et en quatrième, les élèves doivent pouvoir apprécier les prestations et être capables de les mettre en relation avec un support musical imposé ou librement choisi. L'introduction d'un arrièrefond musical quasi permanent (pendant les séances), associée à des consignes sur l'utilisation du rythme, permet de mettre en relation monde sonore et mouvement. L'utilisation d'accessoires scéniques valorise le numéro: ils doivent permettre de prendre en compte l'espace scénique et d'orienter les choix de la composition.

En classe de troisième, les compétences acquises doivent permettre à l'élève de communiquer une émotion lors de l'interprétation de son numéro (BO n° 16 du 11 novembre 1997). Cette émotion peut naître de l'exploit, de la simple réalisation ou de l'aspect esthétique et cho régraphique. L'ensemble des compétences abordées est susceptible de favoriser l'éclosion de pratiques personnelles autonomes. Pour chaque cycle, une pratique effective de dix heures s'avère nécessaire pour permettre l'épanouissement des compétences requises. Enfin, il semble que l'ensemble des apprentissages associés à l'acquisition de ces compétences soit à rapprocher de la deuxième finalité de l'EPS : « l'acquisition, par la pratique, des compétences et des connaissances relatives aux activités physiques, sportives et artistiques » (BO n° 29 du 18 juillet 1996).

En seconde, les compétences attendues doivent permettre « d'élaborer à plusieurs un numéro qui sollicite les bases de la jonglerie en situation d'équilibre instable, et des acrobaties collectives dans le cadre d'une mise en scène visant à susciter une émotion ».

En première, les élèves ont la possibilité d'atteindre deux niveaux de compétence

‑ au niveau 1 s'organise le travail sur le numéro: il s'agit ici de « se déplacer sur des agrès mobiles tout en préservant la continuité du jonglage ». Les élèves recherchent l'association « des formes de jonglage et des formes corporelles » et doivent «s'approprier les codes de base lors de la construction et de la représentation d'un numéro». Enfin, l'émergence d'un style, d'une personnalisation des numéros doit normalement accompagner l'aisance et la virtuosité de l'élève;

‑﷓ le niveau 2 vise, en fin d'année, à « utiliser toutes les ressources du lieu d'évolution (espaces, engins, ressources sonores) et les interférences entre partenaires, pour provoquer l'adhésion des spectateurs à une création originale, où des personnages déploient différentes formes de virtuosité».

En terminale, les fondements de l'activité cirque et la diversité de ses formes culturelles doivent avoir été intégrés. Dès lors, il s'agira de savoir « réaliser des habiletés fines (jongler, maintenir, ajuster des objets entre eux) dans des situations d'équilibre de plus en plus renversées et précaires, sur des supports mobiles instables; interpréter un personnage et maintenir ses caractéristiques fonctionnelles (démarche, attitudes, etc.) dans des situations d'exécution complexe ou compromise; organiser dans l'espace et dans le temps, les virtuosités présentées tout en les intégrant à un univers poétique et de prendre des risques artistiques... » (BO hors série nos 6 et 7 du 31 août 2000 et documents d'accompagnement de 2001).

C.  Les compétences spécifiques

Les compétences spécifiques correspondent à la première finalité de l'EPS : « le développement des capacités nécessaires aux conduites motrices » (BO n° 29 du 18 juillet 1996), mais elles sont surtout déterminées par les techniques et les savoirs ,propres à l'activité, et intégrées dans l'action. II s'agit ici d'une éducation corporelle complète cherchant à perfectionner le tonus, la maîtrise de l'équilibre, une meilleure latéralisation: elle vise aussi la structuration spatio‑temporelle et la coordination générale. Cette éducation répond au souhait de Michel Serres lorsqu'il déclare: « Ce que j'aimerais en effet, c'est que le gaucher exerce sa main droite et que le droitier fasse de même avec sa main gauche. Nous sommes tous hémiplégiques, nous ne maîtrisons que la moitié de notre corps »[15]. Trois types de compétences peuvent déterminer des « niveaux » qu'il ne faut pas confondre avec les stades d'apprentissage moteur.

‑ la première compétence réside en la capacité de mettre l'engin en mouvement (figure de base). II s'agit de transmettre de l'énergie à l'engin pour lui donner de l'élan préalablement à sa manipulation (lancer‑attraper). En ce qui concerne l'équilibre, il faut être capable de rester debout sur l'engin (assis sur la selle pour les cycles), avec ou sans aide. Concernant le jeu d'acteur, l'artiste débutant ose présenter sa prestation devant un public (même s'il a du mal à en tenir compte et semble l'ignorer);

‑ la deuxième compétence concerne la manipulation à partir des figures classiques de la jonglerie: les engins « s'animent comme par magie ». En équilibre, la maîtrise des déplacements correspond à cette phase. En ce qui concerne le jeu d'acteur, l'élève s'adresse au public lors de son numéro et met en relation sa gestuelle et le fond sonore;

‑ la troisième compétence passe par l'appropriation et l'interprétation des techniques apprises. Elle s'exprime alors par la capacité de création de figures complexes connues (domaine public) ou méconnues (domaine confidentiel) et la capacité d'expression. Celles‑ci se concrétisent quand l'élève s'applique à jouer un personnage sur la scène.

III. Les «travaux croisés»

En 1995, les « parcours diversifiés » ont été mis en place dans les collèges afin de « construire les apprentissages en valorisant les domaines d'excellence des élèves » (BO n° 10 du 6 mars 1997). Depuis 2000, les « travaux croisés » font suite à ces parcours pour permettre aux élèves de quatrième « d'affirmer les compétences déjà développées en cinquième »[16]. Ces nouveaux champs d'innovation exigent de mettre en adéquation trois facteurs: « le projet pédagogique de l'établissement, les ressources disponibles et l'intérêt bien identifié des élèves » afin de renforcer les compétences transversales et parfaire la maîtrise des apprentissages fondamentaux‑[17]

« Il s'agit d'utiliser (...) des champs disciplinaires (...) non en vue d'une spécialisation, mais comme supports privilégiés pour atteindre la maîtrise des apprentissages fondamentaux ». Dans le cadre de cette démarche, il nous semble important d'identifier l'apport des arts du cirque au sein de l'EPS.

A.  «L'intérêt bien identifié des élèves... »

La pratique des arts du cirque motive un large public et, comme nous l'avons montré précédemment, « ils sont un moyen de faire accéder tous les élèves à une activité physique et artistique »[18]. Les arts du cirque permettent également de vivre des expériences originales, sources d'émotion, de plaisir et d'intérêt pour les élèves.

B.  «Des ressources disponibles... »

La pratique des arts du cirque peut se contenter d'un équipement léger qu'autorise une exploitation aisée dans le cadre de spectacles de rue, d'animation en cours de récréation ou d'opérations « portes ouvertes »[19]. L'ensemble de ces manifestations peut donner lieu à une multitude d'interventions pédagogiques transversales:

‑ liaison avec l'éducation musicale dans le cadre «des jeux vocaux et productions collectives de chants, contre‑chant instrumental... »; ‑ liaison avec les enseignements artistiques pour les travaux de maquillage, de fabrication de costumes ou d'affiches, etc. ;

‑ liaison avec les enseignants d'histoire-géographie dans le cadre de l'histoire des cirques, des « belluaires antiques»[20] ou de l'invention de la piste au XVIIIe siècle;

‑ liaison avec le français pour l'écriture d'un synopsis, l'étude du discours du « bonimenteur » ou l'apprentissage de quelques entrées clownesques en théâtre; ‑ liaison avec les enseignements technologiques pour l'étude et la réalisation de prototypes d'engins de jonglage, etc.[21]

C.  « Le projet pédagogique de l'établissement... »

Dans de nombreux projets d'établissement, les axes prioritaires sont la gestion de l'hétérogénéité des élèves et la promotion de la réussite de chacun. Ce sont là des objectifs centraux déterminés par les instructions officielles, les orientations académiques et les bilans de l'établissement. Il s'avère que « favoriser la réussite de chacun dans un contexte d'hétérogénéité »[22] se décline en termes d'objectifs spécifiques ou opérationnels au niveau de l'établissement: « individualiser l'approche: découvrir et valoriser goûts, aptitudes, centres d'intérêt, pratiques de chacun; amener l'élève à devenir l'acteur de son propre apprentissage; apprendre la vie en collectivité... » (BO n° 19 du 11 mai 1995, note 1638).

L'ensemble de ces données s'inscrit bien dans la démarche des « parcours diversifiés », tant par l'esprit que par le pragmatisme et la pertinence de ces choix d'établissement. Effectivement, « cette diversification pédagogique peut se réaliser dans le cadre de projets prenant appui sur d'autres disciplines ou champs disciplinaires, comme les enseignements artistiques, l'éducation physique et sportive ou les langues. Dans tous les cas, il s'agit d'utiliser ces disciplines, non en vue d'une spécialisation, mais comme supports privilégiés pour atteindre la maîtrise des apprentissages fondamentaux » (BO n° 29, note 27, 1996).

La démarche que nous prônons semble, de ce point de vue, particulièrement bien adaptée aux directives institutionnelles.

D.  «S'engager sur la pluralité des cheminements pour atteindre les exigences communes...»

A la rentrée 2002, le collège connaîtra de nouvelles formes de travail qui prendront appui sur des actions interdisciplinaires, à partir de thèmes définis au niveau national. Ces « itinéraires de découverte »[23] associent au moins deux disciplines, articulées entre elles par un thème fédérateur appartenant à quatre domaines, dont celui des arts et des humanités. Ces « itinéraires de découverte » donneront lieu à une production (écrite, visuelle, sonore). De la même manière, les « classes à projet artistique et culturel » (PAC) « organisent une partie de l'activité d'une année, autour d'une réalisation artistique et culturelle » tout en visant à « l'acquisition de notions et de techniques » et à la construction de compétences référées aux programmes des disciplines.[24] Ces deux dispositifs offrent la possibilité d'un travail autour du cirque et la présentation de numéros par les enseignants d'EPS, en liaison avec d'autres matières.

Les « travaux personnalisés encadrés » (TPE)[25] assurent, au lycée, la continuité des « itinéraires de découverte » du collège. Néanmoins, le seul lien avec les arts du cirque semble être la possibilité, pour les élèves, de présenter leur réalisation concrète finale sous une forme plus originale qu'une simple présentation orale traditionnelle.

IV.Les ateliers d'expression artistique

Les « ateliers artistiques »[26] réunissent des élèves autour d'un artiste reconnu et d'un projet pour l'année scolaire, sous la responsabilité d'un enseignant volontaire et formé. Les séances de pratique sont toujours assorties de visites et de spectacles, et peuvent déboucher sur une production en fin d'année. Les arts du cirque trouvent ici une place de choix pour se développer, tant au collège qu'au lycée, au sein de cet « espace d'innovation pédagogique et de sensibilisation artistique ».

Durant la période 1998‑1999, le lycée Marcellin Berthelot de Châtellerault[27] a mis en place un baccalauréat littéraire avec option « arts du cirque », ce qui est unique en France. Cette ouverture est la suite logique de l'extension au « théâtre‑cirque » des domaines artistiques proposés aux élèves qui suivent des enseignements artistiques (série L) ou des enseignements optionnels facultatifs[28].

V.  Conclusion

Nous avons exploré les voies permettant aux enseignants d'EPS de mettre en œuvre ou de participer à des projets intégrant les arts du cirque au collège et au lycée. Pour exploiter les champs ainsi ouverts par les textes officiels, il faut être volontaire et vouloir se former. Nous allons maintenant questionner le domaine des apprentissages moteurs, ce qui nous permettra de justifier et de valoriser les situations pédagogiques proposées.



[1]       À ce propos, on peut consulter la circulaire fixant « l'organisation de la rentrée scolaire 1998 dans les collèges » (BO n° 6 du S février 1998) et le fascicule présentant les programmes du cycle central (CNDP, 1997), enfin le «Programme d'EPS de la classe de sixième des collèges » (BO n° 29 du 18 juillet 1996). Pour le lycée, le BO hors série n° 6 du 31 août 2000 présente les programmes de la classe de seconde; le BO hors série n° 7, présente celui des classes de première; enfin, le livret d'accompagnement de ces programmes de lycée a été édité par le CNDP en mars 2001. L'ensemble de ces références est développé de façon plus précise dans les notes concernant ce chapitre

[2]       L'ancienne dénomination dans les textes officiels parlait d'APEX (Activités Physiques d'EXpression). Le nouveau langage nous propose les APSA (Activités Physiques, Sportives et Artistiques), ou encore APA (Activités Physiques Artistiques).

[3]       Annexe du « Programme d EPS de la classe de sixième des collèges », Arrêté du 18 juin 1996 (JO du 27 juin 1996 paru au BO n° 29 du 18 juillet 1996).

[4]       Nous nous inspirons ici de la notion de «pratique sociale de référence », non pas comme « la recherche d'une identité de forme entre pratique scolaire et les pratiques qui existent en dehors de l'école... mais plutôt la comparaison entre ces formes de pratiques afin de mieux situer les pratiques scolaires dans le système des pratiques sociales, et mieux asseoir leur crédibilité sociale » citée par Martinand dans Connaître et transformer la matière (Peter Lang, 1986).

[5]       BO n° 29 du 18 juillet 1996: «En fin de sixième, l'élève doit être initié à la pratique d'une activité physique artistique par une première approche donnant lieu à production des notions de création, de composition et d'interprétation ». D'autre part, le programme du cycle central (classes de cinquième et quatrième), présenté dans le BO n° 10 du 15 octobre 1998, stipule que « les activités physiques artistiques permettent à tous les élèves de troisième de s'inscrire dans une démarche artistique (...) de respecter le principe du pluralisme des choix d'éléments constitutifs d'un projet artistique et éducatif. Dans une perspective de formation interdisciplinaire, la finalité éducative conduit les élèves vers la réalisation d'un projet artistique pluridisciplinaire. Les élèves de troisième peuvent s'engager à conduire un projet de création collective pour le communiquer et pour transmettre une émotion ».

[6]       À ce sujet, voir le fascicule Accompagnement des programmes de 6e, se et 4e, CNDP, livret 6, 1997, p. 37

[7]       Dans une note d'information n° 92. 40 de 1992 de la Direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'Éducation nationale (directeur de la publication, Claude Thélot), il apparaît que la danse est enseignée dans un tiers des collèges (35 %). Enquête DEP 3, 1990‑1991 rapportée par Joseph Fischer / Direction des lycées et collèges 18

[8]       Cette nécessaire obligation de « ne négliger aucun élève » apparaît dans la loi d'orientation sur l'éducation (du 10 juillet 1989 parue au BO spécial n° 4 du 31 août 1989). Depuis, cette notion est inscrite régulièrement dans les textes officiels, comme par exemple la circulaire du 9 janvier 1998 (BO n° 6 du 5 février 1998) fixant l'«organisation de la rentrée scolaire 1998 dans les collèges ».

[9]        « La mixité doit être encouragée mais, sous peine de produire l'inverse des résultats recherchés, elle ne peut être conduite dans l'ignorance des différences. Dans la perspective d'une culture commune, il convient d'en tenir compte dans le choix et la mise en ceuvre des activités proposées. L'enseignant peut organiser le travail de la classe par sous‑groupes; selon les besoins, il alterne les critères de niveau et d'affinité, en veillant à ce qu'aucun élève ne soit exclu ». Le nouveau collège. Programmes du cycle central Se et 4e, CNDP, livret 1, 1997, p. 111

[10]     Ibid., p. 111

[11]     Ce constat apparaît clairement dans l'article de Marie Bellat et Alain Mingat, « La constitution de classes de niveau dans les collèges; les effets pervers d'une pratique à visée égalisatrice », Revue française de sociologie, n° 38, oct.‑déc. 1997.

[12] BO n° 29 du 18 juillet 1996. Nous nous appuyons sur la définition de la compétence donnée par M. de Montmollin (L'intelligence de la tâche, Berne, P. Lang, 1984) et qui présente comme un « ensemble hiérarchisé de savoirs, de savoir‑raire, de conduites types, de procédures standards de types de raisonnement que l'on peut mettre en cpuvre sans apprentissage nouveau ». Une telle acception du concept de compétence oriente nos propositions dans le cadre de l'évaluation (voir chap. 6, p. 89‑93). Enfin, pour une revue des définitions relatives à ce concept, le lecteur peut compulser le Lexique thématique en sciences et techniques des activités physiques et sportives de Didier Delignière et Pascal Duret (Vigot, 1995).

[13]     Nous renvoyons le lecteur à La leçon d'éducation physique. Un système complexe et vivant de Jean Roche (CRDP de Bourgogne, 1995); ainsi qu'aux différentes productions de Geneviève Cogerino : « Quelles contributions des enseignants d'EPS à la santé?», in DossierEP.S n° 35, Éditions Revue ERS, 1997; et «Gestion de la vie physique», Revue ERS, n° 251, janv.‑fév. 1995.  En ce qui concerne la prise de risque, le lecteur peut consulter l'ouvrage de David Le Breton, La sociologie du risque, dans la collection «Que sais‑je?» (n° 3016, 1995) et l'article de Pierre‑Henri Martinet « Le risque en toute liberté » (Revue ERS n° 255, 1995). Pour l'éducation à la citoyenneté, la contribution de Jean‑Pierre Garel (pour le Centre de ressources pédagogiques du SNEP) intitulée « L'EPS est interpellée par la société. Peut‑elle contribuer à la valorisation d'une forme de culture originale, à l'émergence d'une nouvelle citoyenneté ? » (10 décembre 2001) est à consulter sur le site du SNEP

[14]     Pour le cycle d'adaptation (classe de sixième des collèges), consulter le BO n° 29 du 18 juillet 1996, pour le cycle central (classes de cinquième et de quatrième) consulter le livret 1 du nouveau collège et pour le cycle d'orientation (classe de troisième des collèges), se reporter au BO n° 16 du 11 novembre 1997 (hors‑série) sur la consultation sur les programmes. Pour le lycée, se référer à la note 20.

[15]     « EPS interroge Michel Serres. Éloge du corps », Revue ERS, n° 270, mars‑avril 1998.

[16]     Les « travaux croisés » font partie des mesures du Collège des années 2000, d'après la circulaire n° 2000093 du 23 juin 2000 parue au BO n° 25 du 29 juin 2000 (consulter aussi le BO n° 23, supplément du 10 juin 1999).

[17]     Les apprentissages fondamentaux au collège sont les suivants: langue écrite et orale, méthodologie, apprendre à apprendre, éducation civique, langage et geste du corps. D'après le Nouveau contrat pour l'école par François Bayrou, du les septembre 1994 et le BO n° 48 du 28 décembre 1995.

[18]     Dans le BO n° 29 du 18 juillet 1996 (p. 1968), il est précisé que « l'ensemble des groupes d'activités devra être abordé au cours de la scolarité en collège ». Ces groupes sont les suivants: les activités athlétiques, les activités aquatiques, les activités physiques artistiques, les activités physiques de combat, les activités d'opposition duelle (sports de raquettes), les activités de coopération et d'opposition (sports collectifs) et les activités physiques de pleine nature.

[19]     Participation à la fête de la musique avec la chorale du collège ou à l'accueil des parents en classe de sixième, voir BO n° 6 du 5 février 1998, « Organisation de la rentrée scolaire 1998 dans les collèges ».

[20]     D'après le Grand Larousse, le « belluaire antique » est un «esclave attaché au service des animaux du cirque... celui qui dresse et soigne les fauves ».

[21]     Extrait du programme du cycle central des collèges (CNDP 1997) et du livret Repères pour le collège 6e, Se et 4e, ministère de l'Éducation nationale, de la recherche et de la technologie, 1998.

[22] Les exemples sont tirés de plusieurs projets d'établissement que nous avons consultés

[23] BAUMARD (M.), « Au collège, fais ce qu'il te plaît ! », Le Monde de l'éducation, mai 2001. LANG (Jack), « Pour un collège républicain: orientation sur l'avenir du collège », discours du 5 avril 2001.

[24] Circulaire n° 2001‑105 du 8 juin 2001 relative à la «préparation de la rentrée 2001 dans les collèges », et circulaire n° 2001‑104 du 14 juin 2001 présentant les dispositions relatives aux classes à projet artistique et culturel.

[25]     Voir la circulaire n° 2001‑083 du 11 juin 2001 et le BO n° 24 du 14 juin 2001 relatifs à la «préparation de la rentrée 2001 dans les collèges », ainsi que la circulaire n° 2001‑104 du 14 juin 2001 présentant les dispositions relatives aux classes à projet artistique et culturel.

[26] Conférence de presse commune du 14 décembre 2000 avec jack Lang, « Orientations pour une politique des arts et de la culture à l'école », et Catherine Tasca, «L'éducation artistique et culturelle pour tous ».

[27] 46 DFLAcHET (J.) et PACQUELIN (A.), « Une option au BAC », Revue ERS, n° 279, sep.‑oct. 1999. Consulter aussi les notes de services n° 2001‑038 du 28 février 2001, BO n° 10 du 8 mars 2001 et n° 2001‑249 du 28 novembre 2001, BO n° 45 du 6 décembre 2001, relatives au épreuves de théâtre‑cirque au baccalauréat, série littéraire, session 2001 et 2002

[28] Arrêté du 20 juillet 2001 au JO du 4 août 2001 paru au BO hors série n° 4 du 30 août 2001, relatif au programme des enseignements artistiques des classes terminales, des séries générales et technologiques